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José Luis Zumeta
28 mars 2014

Frantsesez 2

Zumeta, portait d’une peinture vitale

Ruiz de Eguino

Galerie Insolitudes, Pau, 2010

PARLER de la peinture de José Luis Zumeta suppose que nous nous plongions dans un travail professionnel robuste et cohérent. Il s´agit d´un artiste qui vit de son métier avec l´intensité d´un créateur inspiré et attentif au devenir du moment. Je connais l´œuvre de Zumeta depuis le début des années soixante dix. Je l´ai connu, lui personnellement, plus tard. Notre ami commun Rafael Ruiz Balerdi a été le premier à me parler de lui. Ils ont été tous les deux membres cofondateurs  du groupe Gaur de l´Ecole Basque.

Il est important de dire que nous sommes devant un artiste très prolifique, qui en plus d´analyser les créations et expériences de ses collègues, a toujours su «recréer» son œuvre d´une façon personnelle en accord avec sa vision de ce qui l´inspire. Pour retracer son parcours,  nous savons qu´il l´a débuté comme dessinateur dans une importante imprimerie  et maison d´édition «Gráficas Valverde», où il a travaillé  entre 1953 et 1958. Années durant lesquelles il a approfondi sa formation à l´Ecole des Arts et Métiers de San Sebastián, et dans les classes de l´Association Artistique de Guipúzcoa. Il reçoit la première récompense importante en 1958, à Madrid,  avec la Médaille Nationale au concours de la Jeune Peinture.

Nous le retrouvons l´année suivante, résident à Paris avec Rafael Ruiz Balerdi et J.Mari Ortiz. Là il découvre la face cachée du monde artistique et ses difficultés,  et s´ouvre au mouvement de l´avant-garde : Staël, Appel,  Asger Jorn et aux  classiques modernes comme: Cézanne, Paul Klee. Ce séjour a été primordial dans le devenir de son parcours. C´est l´époque où résonne au  bord de la Seine, l´écho de l´Informalisme  et du Groupe Cobra, créé en marge de l´école de Paris. Cobra et Dubuffet ont brisé les moules. Zumeta perçoit  immédiatement la fraîcheur et l´intuition plastique qu´apportent ces nordiques.

L´expressionnisme abstrait  affleure dans ses toiles. Il développe la couleur pure et lumineuse qui jaillit des gouaches colorées  de Rothko, appliquée d´un trait libre et fortuit. Glacis de couleurs diaphanes qui s´écoulent les unes sur les autres en franges. Traits qui codifient des descentes chromatiques où la couleur libérée parle d´elle-même. Il explore les techniques et matériaux pour réaliser des pièces tridimensionnelles, où la couleur est fondamentale.

La disposition des formes et des traits immobiles change ensuite. Elle rend possible de nouvelles compositions plus gestuelles, où le trait de pinceau cherche des formes plus organiques,  et domine surtout la forme. Parce que la forme et la couleur se conjuguent dans un langage inédit. Zumeta rompt  par la superposition  de formes-couleur,  avec  la forme géométrique, en ajoutant au champ de couleur des compositions, je dirais baroques,  par l´accumulation de traits de pinceau et de couleur-volume. En même temps il élabore des volumes chromatiques en pièces tridimensionnelles/volumes couleur, rendant ainsi la plastique plus cohérente. Il s´agit de pièces de bois découpées et peintes. Egalement de grandes masses caoutchouteuses polychromées.

En 1965 Zumeta participe à la fondation du Groupe Gaur, en même temps que les sculpteurs Oteiza, E. Chillida, R. Mendiburu, N. Basterretxea et que les peintres Rafael Ruiz Balerdi, Amable Arias et José Antonio Sistiaga. Le groupe répand son œuvre dans le Pays Basque, en Navarre et crée les bases de ce qui sera, dans le domaine culturel,  l´Ecole Basque. Deux ans plus tard (1967), il reçoit le prix de Peinture basque. De nombreuses expositions personnelles ont lieu, auxquelles s´ajoute sa participation à celle de México, de  « Peinture et sculpture basques ».

Nous sommes dans une période vitaliste de Zumeta. Il distille des figures de compositions d´une liberté absolue, nous révélant la spontanéité de l´enfant qui persiste en lui ; un adulte qui récupère la fraîcheur. Comme dans Picasso, le «grand enfant» affleure. Ce sont des œuvres qui  expriment plastiquement un monde de sensations, de rêves cachés.

Le temps s´écoule peu à peu et nous entrons dans le début des années soixante dix, période durant laquelle, abandonnant les couleurs primaires utilisées jusqu´alors, Zumeta explore les chromatismes opaques, semi-sombres. Dans sa peinture, un nouvel espace émerge grâce au contraste crée par les blancs grisâtres que l´artiste oppose aux teintes contrôlées. Il incorpore à tout cela la gestuelle de traits libres et organicistes. Cet ensemble original nous rapproche d´ un espace plus intime de sentiments personnels, donnant à ces peintures une dimension supérieure et monumentale. Les pigments expriment par l´étalement de leur pâte, ce besoin de montrer un épiderme sensible. Textures matériques et  chromatiques de facture délicate, en quête de la manifestation de l´essentialité. Ce sont des toiles à la fois descriptives, pour leur expression littéraire, et à la fois silencieuses pour leur révélation lyrique.

Je me souviens de l´exposition de Zumeta à la galerie El Pez de San Sebastián (1974), dont le tableau m´a paru proche du muralisme. De façon surprenante je découvris qu´il était alors plongé dans la réalisation de deux grandes compositions céramiques pour la Place de la Mairie de Usurbil et pour le Port de Pasajes.

Je continue de penser que pour Zumeta, le  fait de devoir élaborer  ces grandes superficies, lui a permis de développer et réinventer les formes-tache sur des plans et arrière-plans (créant des reliefs). Sa peinture a acquis une maturité substantielle après la réalisation de ces compositions murales. Dorénavant les dimensions dans lesquelles il travaille ses peintures importe peu parce qu´il a réussi à matérialiser et concevoir des tableaux superbes, quelque soit leur taille. J´apprécie particulièrement la plasticité et la conception excellente de la série de compositions sur fond de gris dominants, crée au milieu des années soixante dix. De petits signes picturaux sur des espaces chromatiques donnent une ambiguïté spatiale singulière, créant un fort contraste éthéré, rajoutant une calligraphie si minutieuse.    

Il délaisse cette recréation dans des espaces insondables, pour s´occuper de l´homme et de sa quotidienneté. Cela advint du fait qu´il eut entre les mains des photos de la photographe Diane Arbus qui l´amenèrent à se rapprocher de façon réfléchie  de la réalité. Cela marque une autre étape de son parcours.

Beauté et laideur, situations «évènements», ambiance de nudistes, motifs familiaux, gens de la rue, différentes circonstances sociales… tout cela est abordé de façon réaliste, caricaturale, critique et humoristique. L´artiste veut porter sur la toile la complexité du monde, avec ses réelles contradictions, de l´homme face aux problèmes quotidiens. Dans cette perspective, il déchiffre l´humain pour le mettre à découvert.

Cinq ans plus tard, ce monde change pour laisser place, dans son esthétique, à un genre d´icônes–collages composés, où  un autre type de représentation  ajoute une substantielle pigmentation de trames et textures. Il revient aux productions narratives, non littéraires. Formes de figuration  suggérée qui donnent lieu à une méthode presque d´ordre grammatical. Le travail reste centré sur une idéologie résolument abstraite, ou la gestuelle et la spontanéité théoriques et intuitives émergent subitement. Zumeta a rompu définitivement avec ce qu´il conservait auparavant de charge théâtrale et descriptive.

Plongé dans son espace intérieur, l´artiste jouit actuellement d´une liberté que, seules la maturité et l´expérience d´un parcours comme le sien, autorisent. De part sa sincérité, il lui appartient de déambuler sur un  territoire parfaitement naturel. Zumeta n´a pas besoin de se jeter dans l´arène, l´arène lui est déjà acquise.

Iñaki M. Ruiz de Eguino, 2010

  

José Luis Zumeta,

un monde merveilleux 

Extrait de La peinture basque

par Michel de Jaureguiberry

Editions Pimientos, 2009  

 

José Luis Zumeta est né à Usurbil en Guipuzcoa en 1939. Après un court apprentissage à Saint Sébastien, il rêve de vouloir aller à Paris, un rêve français pour fuir l’Espagne des années soixante, et vivre pense-t-il au cœur de l’avant-garde, libre de créer, movida avant la movida. Il y rencontre et se lie d’amitié avec deux autres donostiarras, Rafael Luis Balerdi et José Antonio Sistiaga, il vit la bohème et survit dépité en dessinant des Joconde place du Tertre. Le voyage l’emmène ensuite à Londres, Stockholm et Copenhague avant de entrer chez lui en Guipuzcoa où, retrouvant Balerdi et Sistiaga, il fait la connaissance de Chillida, Oteiza, Mendiburu, Basterretxea et Arias, avec lesquels il fonde en 1967, le groupe Gaur (aujourd’hui en basque), dans le but de promouvoir l’art basque contemporain et d’affirmer quelques revendications. En réaction, la polémique enfle, la critique est sévère et alors bien peu enthousiaste. Rumeurs, protestations ou indifférence pour cette trop grande aspiration à la modernité ! Le groupe explose et laisse chacun continuer son chemin. Gaur marque cependant chaque artiste au travers du regard qu’il pose sur la peinture basque, et marque très certainement l’histoire de l’art en Euskal Herri.

Aujourd’hui, José Luis Zumeta qui expose à Bilbao, Stuttgart, Madrid ou New-York, est incontournable : il incarne l’esprit novateur, sert de point de repère pour les autres artistes et est considéré par la majorité comme le plus grand peintre basque de son temps. Quarante ans après le groupe Gaur, quarante ans, le temps minimal évident, obligatoire et logique, pour la reconnaissance.

Sa peinture est construite par la force, la vitalité et l’écrasante présence de ses couleurs. Imbriquées, puissantes, elles créent l’énergie, la tension et l’équilibre de ses toiles qui interpellent notre regard, interrogent notre pensée et nous proposent une promenade guidée ou mystérieuse dans notre imaginaire.

Abstraction absolue, en aucun cas ! ou du moins un abstrait non dépourvu de connotations figuratives, en éliminant ce qui semble trop évident dans le figuratif ; réalité suggérée sans se concrétiser, reconstruite, évoquée, maîtrisée par le peintre qui a assimilé et compris son époque et le monde qui l’entoure, pour affirmer son propre langage, son écriture, sa vision sans subir ni modes, ni influences.

La peinture de Zumeta est un monde merveilleux, imaginaire où vous croiserez la poésie de Bernardo Atxaga, la voix de Mikel Laboa et les constructions de Jorge Oteiza… pour votre plus grand bonheur !

Décès du peintre José Luis Zumeta

 

Ellande Duny-Pétré

Article paru dans le mensuel Enbata n° 2357 de mai 2020

Un des grands acteurs du renouveau de la peinture basque des années soixante vient de mourir à l’âge de 81 ans. Ses tableaux illuminent depuis des décennies notre pays et sa vie sociale. Sa disparition le 22 avril laisse un grand vide. Il nous reste son œuvre prolifique de peintre mais aussi, moins connues, ses sculptures et ses céramiques.

 

Nous sommes en Hegoalde à la fin des années cinquante. Le sommeil de la raison engendre des monstres. Années noires pour l’identité d’un peuple, elles inspirent à Gabriel Aresti un poème:

"Hi haiz Euskal Herria, herri nekatua,

Inork ezagutzen du hire bekatua?

Baina inoren zorrik ez dun ordainduko,

Heure etorkizunak ditun apainduko".

Dans ce pays épuisé, exsangue, qui ne sait quelle faute il a commise, tous sont confrontés à l'A quoi bon. A quoi bon la poésie, à quoi bon des poètes, des peintres en un temps de détresse? Wozu dichter in durtfiger zeit? Aucune issue sous la botte? Non. Quelques jeunes gens, une poignée, partent à l’assaut de l'impossible. Ils ne craindront pas de mettre le feu à leur propre vie. Parce qu'à chaque effondrement des preuves, les poètes, les peintres, les musiciens répondent par une salve d'avenir. Ils se nomment Zumeta, Chillida, Artze, Laboa, Lete, Balerdi, Lertxundi, Mendiburu, ils fondent Gaur et Ez dok hamairu, pendant que d’autres lancent Euskadi Ta Askatasuna. De l'espoir né avec cette génération, de leur parenté fulgurante, demeure le baume de l'essor que rien n'altère. Ce baume de l'essor, cette salve d'avenir, nous les avons aujourd’hui encore devant nous. Ce sont les toiles de José Luis Zumeta.

 

Une peinture qui se dérobe au commentaire

Un jeune peintre travaille dans une entreprise d’arts graphiques, Valverde, dirigée par le poète et musicien, Antton Valverde. Dans la nuit franquiste, Zumeta voit bien que la vraie vie est ailleurs. Alors il rompt et entreprend, comme les jeunes aristocrates anglais du XVIIIe siècle, le Grand Tour. Il parcourt l’Europe en moto et découvre les avant-gardes esthétiques: l’expressionnisme abstrait, l’art brut, Cobra, Paul Klee, Bram Van Velde, De Staël, Jackson Pollock, De Kooning. En compagnie du peintre Ruiz Balerdi et du poète Joxean Artze, années de bohème à Paris, à Londres, à Copenhague, ils se nourrissent, ils respirent un air plus pur. Mais leur manque l’essentiel, la «lumière noire» propre au Pays Basque. De retour en Euskal Herri, Jose Luis Zumeta reprend ses couleurs et ses pinceaux, il ne les quittera plus. Il explore d’autres territoires, la sculpture et la céramique, sous la forme de grands panneaux dont il ne réalisera qu’un trop petit nombre, à son grand regret. Zumeta est d’abord peintre au style reconnaissable entre tous.

Comment mettre des mots sur sa peinture qui se dérobe au commentaire? Notre incompréhension, notre désarroi rapidement s’évaporent, balayés par une puissance de conviction peu commune. Voilà le singulier pouvoir de cette peinture qui nous fixe, nous possède. Zumeta nous apporte un état d'engloutissement et tout ce qu'il peut comporter de réponses. Il nous emporte.

De son travail qui est aussi danse de la main, jeu, agression, exploration, on pourrait parler au sens le plus littéral. L’évoquer en déliant ce qui est organiquement lié, presque dans l'énumération la plus sèche: plages et cernes, évasements et resserrements; tracés courbes et rectilignes; traits simples et traits redoublés; centres et périphéries, carrefours et culs de sac. Dans ces traces d'un geste libre, on analysera des structures. On reconnaîtra des points, des lignes de clivages, des figures couplées, des axes, des centres de rotation. Les éléments qui introduisent la lutte et la violence dans ces tableaux sont aussi ceux qui induisent la tendresse, l'humilité, l’humour quelquefois.

 

Combat, danse, jaillissement, exubérance

La seule chose qui nous soit donnée est qu'immédiatement, il y a entre cette peinture et nous, un lien, une vibration, en dehors de toute compréhension rationnelle. Ce lien, cette vibration sont paradoxaux, puisqu'ils s'effectuent loin de toutes nos habitudes. Nous nous sentons dépaysés. La peinture de Zumeta s'installe dans son règne propre, elle échappe aux descriptions, elle récuse la concurrence des mots, elle cesse de donner prise à l'analyse. D'une peinture aussi purement peinture que celle de Zumeta, on tentera de parler métaphoriquement. Mais la métaphore ne peut être qu'incertaine, provisoire. On dira combat, jaillissement, exubérance, mais aussi plongée, somptuosité, métamorphose. Nous regarderons ses œuvres comme des figures emblématiques, au-delà de la grisaille de nos jours et l'amertume du cœur. On convoquera des mythes: Abel, Œdipe, Orphée, les figures du conflit et celles de l'harmonie. Mais au fond, cela s’avère insuffisant face au mystère des toiles. Zumeta le dit lui-même: «La Joconde elle aussi est impénétrable, c'est cette difficulté qui lui donne toute sa valeur, son caractère mystérieux, énigmatique».

 

La peinture est pure impuissance

Sur sa démarche, l’artiste leva un jour un coin du voile: «J'essaie d'apprendre en partant de ce que je ne sais pas. Ce que l'on sait vraiment, sans le savoir, c'est ce que l'on apprend. (...) Je veux apprendre sur ce que je fais sans savoir, sur ce qui apparaît lorsque je travaille en tâtonnant». José Luis Zumeta accorde peu d’interviews. Ce n'est pas un bavard, il est même un grand silencieux, tel Bram Van Velde ou Samuel Beckett. Un peintre ne s'exprime pas par les mots. Comme chez tout plaza gizon ou etxeko jaun, ce qui frappe chez lui, est sa réserve, sa pudeur : «Euskaldunak, labur hitzetan, eta luze egintzetan». Inutile d'attendre de lui un long commentaire, encore moins des explications théoriques. La plupart de ses tableaux sont «sans titre». Il est dès lors assez vain de coller sur sa peinture une étiquette, peinture abstraite ou encore expressionnisme abstrait.

Mais un jour Zumeta fendit l'armure en nous indiquant une piste: «La peinture est pure impuissance, affleurement des minima», dit-il. Des mots qui font écho avec ceux de Samuel Beckett déclarant à Maurice Nadeau: «Aujourd'hui je ne parviens pas à écrire, je ne suis pas assez bas». Ou encore cette phrase d'un grand laconique lui aussi, Bram Van Velde, avouant: «Je peins l'impossibilité de peindre». Nous y voilà, en abîme.

Zumeta, dirait-on, met un frein à sa rage pour ne pas effrayer ce qui sur sa toile est en voie de coalescence. Dès qu'il est manifeste que ce qui s'organise n'est encore une fois que le vieux monde et ses vieux rapports, il se déchaîne, il court-circuite, il sabre. Les arcs sont mutilés aussitôt qu'ils affirment leur volonté de se faire cercles, les cercles eux-mêmes défigurés, les droites cruellement infléchies dès qu'elles se carrent dans leur droiture. En vain, il massacre parfois, mais quelque chose toujours reste: le tableau est là.

 

Dans le labyrinthe d’Uribitarte

Le paradoxe apparent veut qu’une telle œuvre émane d’un artiste en relation constante avec son temps, son environnement culturel, politique, social, linguistique, en somme sa géo-poétique personnelle. José Luis Zumeta ne vit pas reclus dans une tour d’ivoire, l’antre secret d’Atallu. Son œuvre abondante s’étale sur les pochettes des disques de Mikel Laboa, les affiches des finales de bertsulari ou des campagnes en faveur des ikastola, de Durangoko azoka, de Egin. Le peintre offrira des tableaux qui seront diffusés par ses amis de Batasuna ou du syndicat ELA.

Zumeta veut que ses œuvres quittent l’air confiné des musées ou les salons de prestigieux collectionneurs. Il présente alors ses immenses toiles en des lieux improbables : halles et marchés de légumes, de charcuterie, de poissons et de fruits où les couleurs explosent et se répondent. Ou encore dans une ruine industrielle au cœur de Bilbao, en 2000. Ce fut peut-être sa plus forte exposition que l’on doit au galeriste biscayen Epelde et Mardaras. En plein centre-ville, un bâtiment des années 1900 —l’usine de traitement d’eau potable Uribitarte— ouvert aux quatre vents et à la pluie qui, dans des salles gigantesques, inonde le sol où se reflètent les toiles du maître. Se déroule alors sous nos pas un parcours labyrinthique qui fut sans doute un des sommets de sa démarche créatrice.

Juan Ignacio Vidarte, directeur du musée Guggenheim de Bilbao, le reconnaît : Jose Luis Zumeta n’a pas reçu la reconnaissance internationale que méritait un artiste de son envergure. Certes, il a exposé au Guggenheim et dans quelques galeries de New-York, d’Allemagne ou d’Amérique du Sud. Mais désirait-il la gloire? Alors que la côte de ses tableaux s’envolait et faisait l’objet de spéculation, Zumeta exigea de ses marchands une baisse de ses prix. Il préférait voyager incognito, son carnet de dessins à la main, en Afrique du Nord ou en Argentine où il effectua de fréquents séjours. Peu friand de mondanités qui comptent tant dans le petit monde de l’art, il est surtout resté fidèle à la poursuite de son œuvre et à ses convictions. Répondant toujours présent aux sollicitations de la gauche abertzale, dans ses manifestations publiques et ses combats, Zumeta sentait le soufre aux yeux des institutions officielles, qu’elles soient basques ou espagnoles. Elles le lui ont fait payer. Zumeta préférait la compagnie du sculpteur Juan Gorriti, son premier voisin d’Atallu-Aribe, celle du poète Mikel Laboa ou rêver sur les pages du journal Globe rouge, réalisé par les malades mentaux de l’hôpital psychiatrique d’Arrasate. En contrepoint des écrits des femmes et des hommes exclus, plongés dans la nuit du monde, il fit un grandiose livre d’artiste, Oi bihotz! Il sera publié en sérigraphie par sa fille Usoa. Bel hommage aux êtres dont la parole est si rarement entendue, si peu audible.

Tel fut le géant Zumeta, il n’a vécu que pour la peinture, pour l’instant présent devant la toile, comme en parle son ami, le poète J. A. Artze : «Ez, ez ezak inoiz une hau, orain hau, behin eta betikoa duala inoiz ahantz; ez duk inoiz ahantzi behar, une hau, behin betikotz behar duala bizi, eta behingoan betikoa bizitzen ikasi».

 

(1) Nous devons au festival bayonnais organisé par Moustic, Black and Basque, dont Zumeta fut l’invité en 2014, une belle exposition au Carré Bonnat. Elle présentait un film remarquable montrant Zumeta dans son atelier d’Atallu-Aribe (Nafarroa), en plein travail.

Nota : cet article doit beaucoup à de grands poètes et historiens d’art européens. Par ailleurs, le lecteur intéressé peut consulter une anthologie quadrilingue des articles, interviews et livres consacrés à Zumeta, à l’adresse suivante : joseluiszumeta.canal.blog.com

 

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